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par Lionel Laboudigue
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la nuit aura duré deux mois
les volets s’ouvrent sur la ville les façades s’Ă©clairent les rues s’Ă©tirent doucement
premiers pas fébriles de liberté retrouvée
premiĂšres silhouettes
le dĂ©cor n’a pas changĂ© et pourtant rien n’est pareil
une étrange inquiétude me saisit
le monde est devenu monochrome privĂ© des couleurs rassurantes de l’Ă©motion
le virus a effacé les visages et avec eux le miroir des sentiments
l’humanitĂ© avance dĂ©sormais masquĂ©e
les figures hier familiÚres se sont transformées en visages anonymes impassibles
je pourrais croiser mes amis sans mĂȘme les reconnaĂźtre.
toutes ces silhouettes désincarnées provoquent une angoisse diffuse
qui es-tu toi qui me regardes ainsi
le charme discret de la diffĂ©rence s’est Ă©vanoui
les profils ont perdu leur relief les peaux leur texture
les yeux n’ont plus d’Ă©crin pour briller
plus de délit de belles gueules pour les sans visages
oĂč assurer dĂ©sormais son regard
comment se reconnaĂźtre dans l’Ćil de toutes ces ombres anonymes
comment pourra-t-on ĂȘtre sĂ»r que l’on est diffĂ©rent
comment rester un parmi les autres ?
je suis sourd et je deviens aveugle
vos sourires vos lĂšvres me manquent
le silence des visages devient assourdissant
comment vous entendre si je ne vous vois pas
au royaume des masques les aveugles sont rois
Ă eux dĂ©sormais l’avantage
il leur faudra nous apprendre Ă voir le sourire dans la voix sentir la joie dans l’intonation la tristesse dans les vibrations l’Ă©moi dans l’Ă©coulement des mots
il leur faudra nous guider sur le chemin des émotions cachées
nous avons tout à réapprendre
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Un monde sans visages, série de Lionel Laboudigue
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Pandémie 2020, vies humaines
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