C’est avec l’apparition de la photographie que coïncident les premiers effets des processus techniques, symboliques et sociaux appelés à modifier notre équilibre culturel. Au moment où la civilisation née avec l’imprimé touche à son terme, la photographie est en effet la première à reproduire et révéler l’image protéiforme de cet autre, dont l’explosion médiatique de notre fin de siècle n’est qu’une diffraction. Replacée dans la perspective de cette mutation du lisible au visible, l’invention du procédé photographique représente une révolution médiatique majeure, dont les sciences humaines ont trop longtemps négligé la portée. A l’instar de l’imprimerie dont elle menace le monopole en matière de diffusion, l’importance culturelle de la photographie ne saurait se limiter à ses apports technologiques. L’ampleur et la rapidité de son essor témoignent en effet de cette solidarité médiologique qui articule environnement technique et représentations, supports matériels et symbolisations, appareillages de transmission et pragmatique sociale. L’apparition de la photographie est l’indice d’une convulsion, dont l’énergie s’enracine dans les pulsions scopiques du XIXème siècle, et se prolonge dans le réseau d’aspirations collectives qui façonne encore notre société. Rêve du voir et du savoir, culte des morts et de l’instant, fantasme d’apparence et d’identification, désir d’ubiquité spatiale et temporelle, apologie de l’individuel et du singulier, elle embrasse toutes les forces qui déstabilisent l’empire du verbe au profit d’un nouveau règne visuel.
Du scripturaire à l’indiciel – Texte, Photographie, Document, Thèse de doctorat de Louise Merzeau, 1992
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