par Laura Sanchez
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Ces derniers mois, comme la grande majorité des êtres humains, j’ai regagné mon cocon en attendant que passe la tempête. Durant l’attente, il semble qu’un glissement vers l’état larvaire se soit opéré — jusqu’à ce que nos gouvernements nous autorisent à en sortir — et cette éclosion progressive m’a conduite à me demander : qu’ai-je retenu de cette expérience contrainte ?
Tout à l’heure, alors que je contemplais la montagne engloutie par les cumulonimbus teintés du rose crépusculaire, tout en écoutant ton style de Ferré, un trou en forme de cœur s’est formé dans les nuages à l’instant précis où Léo chantait : ton style c’est ton cœur, c’est ton cœur, c’est ton cœur.
Depuis quelques jours, un petit escargot vient dormir contre ma fenêtre tous les soirs, des chats s’approchent pour me présenter leurs trophées de chasse (lézards et souris) avant de les dévorer plus loin, une mue de sauterelle s’est accrochée dans mes cheveux lors d’une sieste sur l’herbe, des milans volent au-dessus de la maison et tournoient tant et si bien que leurs ailes immenses semblent frôler les tuiles sous le soleil éclatant. J’ai voulu donner un morceau de poulet à un chien qui l’a refusé, pensant « s’il ne le mange pas, des oiseaux le feront » pour que l’instant suivant un moineau emporte le butin. Sans parler de ce chevreuil croisé en plein jour au bord d’un chemin de banlieue résidentielle — il a fait quelques pas vers la voiture et son regard a transpercé le pare-brise avant de disparaître dans les fourrages — ; ces canards qui ne s’écartent plus lorsque nous passons à quelques mètres d’eux en moto ; ces grenouilles qui s’agitent par centaines au bord du lac ; la petite éphémère rouge comme le sang qui virevolte au-dessus de l’eau — toute la beauté de sa vie réside dans le fait de n’éclore que pour se reproduire et voir le soleil le temps d’une journée, après trois ans passés sous forme de larve — et ce renard qui gambade dans la prairie, de l’autre côté du ruisseau dans lequel je me baigne pour échapper à la chaleur terrifiante de ce mois de mai – il m’a donné le droit d’observer, de longues minutes durant, son ballet à la frontière de l’onirique. Jamais je n’avais approché le sauvage d’aussi près. Pourtant, je ne l’ai pas cherché ; pas une seconde.
En sortant de l’eau glacée des montagnes, j’ai rencontré l’esprit du renard, de la forêt et de la rivière qui se sont manifestés pour m’offrir la poésie et me chuchoter : il n’est pas trop tard pour arrêter les conneries.
Ainsi, j’aime à penser que ce temps de réclusion forcée m’ait ouvert les portes de la perception. Voilà le cadeau que j’ai reçu. Cependant, il est probable que cette ouverture soit également due à la découverte d’un livre sur la vie du grand chef amérindien Sitting Bull (de son vrai nom Tatanka Lyotake[1]) et de la culture lakota qui respectait toutes les manifestations du vivant, dont je souhaiterais partager ici un extrait : Pour se préparer à ce qui nous attend dans l’avenir, il faut, je crois, devenir un être humain humble et compassionnel, et comprendre que nous ne sommes pas grand-chose, à peine plus réels que le souffle d’un bison qui respire dans le froid[2]. Voilà les paroles d’Ernie LaPointe, notre contemporain et arrière-petit-fils de Tatanka Iyotake, qui nous rappellent la fragilité de nos existences tout comme le souffle du bison ou l’envol de l’éphémère ; à la seule différence que le monde nous accorde plus d’une aube et d’un crépuscule pour découvrir ses trésors les plus immenses et les plus ténus.
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Laura Sanchez est née en 1997 à Toulouse d’un père basque espagnol et d’une mère colombienne.
Short trip, nouvelle, est publiée dans Pourtant n°1.
Laura Sanchez
[1] Bison mâle qui s’assoit.
[2] LaPointe Ernie, Sitting Bull, sa vie, son héritage, Flammarion, 2019, 188 p.
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2 réponses sur « Hymne à la sauvagerie »
J’ai bien aimé ce petit morceau d’air frais dans l’isolement qui nous serre le cœur ces jours….
Merci pour Laura, Santiago, nous lui transmettons.