Dans Faut-il des murs pour faire une maison, recueil qui a révélé la poésie d’Alix Lerasle, l’auteure parcourt la mémoire d’un lieu qui n’est plus, le souvenir du foyer familial. Avec une sobriété nue, l’évocation de morceaux de vie partagés et de l’absence, les vers comme des fragments échafaudent avec une sobriété poignante la symbolique de la maison qui traverse tout le recueil :
ailleurs
Faut-il des murs pour faire une maison, p.9, éd. Cheyne, 2022
il y a une chambre
avec un lit dedans
alors c’est une maison
Si Pourtant a connu la poétesse, c’est avant tout à la faveur de l’appel à textes lancé pour le n°7, Fenêtres. Dans Ta joie a glissé sur le sol, la recherche du foyer et de l’identité a lieu sous l’angle du contraste entre la fragilité du corps, l’intérieur, et l’extérieur : la porte qui clôture le poème, telle une échappée, offre la perspective de quitter un univers intérieur :
Console-toi
Ta joie a glissé sur le sol, dans : J’ai voulu passer au travers, Pourtant n°7, p.84
Passe la porte.
Que garde-t-on alors passé l’entrebâillement de la porte, une fois le corps à découvert ?
Telle est l’interrogation qui imprègne Alix Lerasle : « Qu’est-ce qu’on emmène avec soi », en sortant, et que signifie habiter ? Au cours de notre échange, Alix Lerasle poursuit sa réflexion sur le sens que revêt, pour elle, la maison. C’est aussi la « maison du corps », dont l’interprétation, laissée à la sensibilité du lecteur, lui « échappe » ; la question, notamment, de savoir à quel point l’on habite son propre corps, ce corps en « creux », tel qu’évoqué dans Ta joie a glissé sur le sol, et qui cherche à trouver sa place.
j’habite la maison de mon corps
Ibid, p.40
dans la maison de mon corps
les murs
ne sont pas de moi
Qu’est-ce qui, donc, fait tenir, soutient la charpente ? Et est propre à nous héberger ? Une chose semble sûre, les murs, seuls, ne suffisent pas à consoler, à faire une maison :
j’ai cherché la maison
Ibid, p.46
mes larmes me brouillaient la vue
je n’ai trouvé que des murs
La maison, c’est tout à la fois une famille, une évocation, même « de trois fois rien », comme les cabanes des enfants, « le bol bleu pour mettre / le lait de tous les jours », le nom de l’être aimé, dont on cherche la trace :
C’était comment ton nom ?
Ibid, p.27
Au-delà de la perdition, le corps s’affirme en rempart, lançant un cri d’appel, insufflant avec courage la force de rebâtir.
mets ton corps en travers
Ibid, p.15 et 17
(…)
mets ta voix en rempart
Nul besoin dans cette déclaration de parure ; sans ambages, les vers font recours à des mots bruts, saillants, dont la seule place sur la page suffit à elle-même comme acte de courage, sans autre atour que celui du langage pur. Il s’agit de faire corps avec le texte, alors que l’acte d’écriture s’érige en construction.
C’est ce même élan d’engagement qui fait du recueil d’Alix Lerasle une œuvre ancrée dans le présent, le vivant. Au tournant du recueil, l’auteure se place du côté de ceux qui ont « choisi de ressentir », comme évoqué page 41, alors que le propos s’oriente vers ce qui est là, visible, cherchant une ouverture par-delà le « terrain instable » de la peine :
des yeux pour chercher des portes
Ibid, p.60 et 61
et des fenêtres
à l’intérieur d’une maison
des yeux pour me sortir de là.
A travers la quête de ce(lui) qui n’est plus, Alix Lerasle parvient, dans une écriture toute en morcellements, et néanmoins limpide, à rappeler les souvenirs, contre « les pertes de nos mémoires ».
En toute intégrité, l’auteure évoque avec bravoure ce qui ne se nomme pas, gravant noir sur blanc des mots sur la page d’un mur intemporel.
et moi je suis venue t’écrire
Ibid, p.32
t’écrire depuis l’intérieur
t’écrire d’entre les murs
les murs de la maison
Raphaëlle Vaillant
Retrouvez Alix Lerasle dans Pourtant n°7 avec Ce que je sais de la nuit, poème :
